Introduction
Le skeuomorphisme qui vient du grec “skeuos” qui signifie “contenant ou outil” et de “morphé” indiquant « forme ». Il s’agit d’un concept qui désigne l’intégration d’éléments visuels ou physiques dans un design numérique, imitant des objets du monde réel. Dans le domaine des interfaces graphiques, cela se traduit par l’utilisation de textures, d’ombres et d’autres attributs faisant écho à des matériaux ou objets physiques, afin de facilement reconnaitre et comprendre la fonction d’un élément sur une interface graphique. On associe la fonction physique d’un élément dans un environnement numérique ( exemple la corbeille de notre ordinateur). Ce concept, largement utilisé dans les premières années du design d’interface vers 1980 (notamment par Apple dans ses versions antérieures d’iOS), a été progressivement abandonné en faveur d’un design plus minimaliste et fonctionnel, comme le flat design.
Selon le philosophe Marshall McLuhan, « le médium est le message » : l’évolution des technologies de communication influence non seulement la manière dont nous transmettons l’information, mais aussi la manière dont nous l’appréhendons. Le skeuomorphisme, en créant une continuité visuelle avec des objets familiers, peut être vu comme une tentative de rendre l’expérience numérique plus accessible ,et rendre la transition entre physique et numérique facile. Mais certains critiques, comme Donald Norman ( ingenieur, chercheur, écrivain et consultant), avancent l’idée dans qu’il freine l’innovation et la création d’un langage visuel propre aux environnements numériques.
Cette note vise à présenter la pertinence de cette question, à analyser les enjeux liés à l’usage et à l’abandon du skeuomorphisme dans les interfaces numériques, et à esquisser les problématiques centrales que je souhaite aborder dans mon article. Cette note vise à démontrer la pertinence du skeuomorphisme comme sujet d’étude dans le cadre du design des interfaces numériques. En effet, l’utilisation de ce concept, largement adopté dans les premiers designs d’interfaces numériques, soulève des questions cruciales pour comprendre l’évolution du langage visuel dans les environnements numériques. Le skeuomorphisme a été perçu à la fois comme un outil accessible pour les utilisateurs, en rendant les interfaces plus intuitives grâce à des repères familiers, mais également comme un obstacle à l’innovation, en limitant les possibilités de création d’un design purement numérique et détaché des contraintes physiques.
Par la suite un compte rendu de lecture ainsi que l’analyse d’une oeuvre graphique qui m’ont aidé à affiner mon sujet et montrer la pertinence et l’intérêt qu’il pourrait y avoir de créer ou non un environnement numérique détaché de tout lien avec le monde physique.
Compte rendu de lecture
Cet article, rédigé par Dan Rubin et traduit par Mylène Czyzniak dans la revue *Back Office* n°3 intitulée « Tourner la page », explore comment l’émergence du Web, et plus particulièrement des « pages » web, s’est inspirée des formats des livres imprimés. Il démontre que le Web a hérité des contraintes physiques des livres et que nos « pages » actuelles ne sont qu’une réinterprétation de ces supports physiques, en utilisant les mêmes méthodes de mise en page. Cette approche limite donc le plein potentiel du World Wide Web. Dan Rubin nous invite à repenser notre manière de concevoir ces pages et à abandonner les techniques traditionnelles de mise en page pour explorer de nouvelles façons de consommer le contenu numérique, tout en adoptant un vocabulaire adapté au Web, plutôt que de réutiliser celui des livres imprimés.
Il pose également la question de savoir comment nous aurions pu concevoir le Web sans nous appuyer sur ce que nous connaissions déjà. Aurions-nous pu créer des pages sans reproduire le modèle des livres imprimés, qui, à l’époque, semblait suffisant ? Aujourd’hui, nous avons besoin de plus qu’une simple transposition d’un livre physique dans un environnement numérique.
Cet article illustre bien que le Web, et notamment les « pages », sont le résultat d’une adaptation de ce que nous connaissions déjà. Chaque transition technologique ne s’accompagne pas de rupture, mais plutôt d’une évolution progressive, et les « pages » web en sont un parfait exemple. Il est donc essentiel, aujourd’hui, de proposer de nouvelles façons d’interagir sur le Web et d’exploiter pleinement son potentiel, d’autant plus que la plupart des utilisateurs sont désormais familiers avec les usages numériques. Une transition vers de nouvelles formes d’interaction et de fonctionnement serait donc non seulement faisable, mais également bénéfique.
Analyse d’une interface graphique
L’application GarageBand 10.1.1, sortie en 2015 pour macOS, est un outil de création musicale développé par Apple. Elle permet aux utilisateurs de composer de la musique en utilisant des instruments virtuels, des enregistrements audio et divers effets. L’interface utilisateur repose fortement sur le skeuomorphisme, un style qui imite les objets physiques du monde réel pour rendre l’expérience plus accessible. Le but est de faciliter la transition des utilisateurs novices vers la composition numérique en créant un environnement intuitif, inspiré des studios d’enregistrement.
L’interface de GarageBand 10.1.1 se compose de plusieurs fenêtres fonctionnelles : une pour importer des instruments, une autre pour travailler sur la composition, et une pour appliquer des effets comme la distorsion et autres. En haut de l’interface, des contrôles essentiels (lecture, pause, enregistrement) sont placés dans un design qui s’inspire fortement des équipements de studio d’enregistrement. Le style visuel est réaliste et texturé, avec des boutons, pédales d’effets et amplificateurs reproduits de façon détaillée. Cette application s’inscrit dans la continuité des interfaces Apple de l’époque, caractérisées par un recours massif au skeuomorphisme pour offrir une expérience utilisateur confortable et familière. Contrairement à des logiciels plus techniques comme After Effects, où l’apprentissage est plus complexe en raison d’une interface abstraite, GarageBand minimise la courbe d’apprentissage grâce à sa proximité avec des éléments reconnaissables.
GarageBand illustre la volonté d’Apple de rendre la création musicale non seulement accessible mais aussi confortable pour les utilisateurs novices. En optant pour une interface skeuomorphique, l’application évite de perdre les débutants en leur présentant un environnement conçue pour rassurer l’utilisateur, lui permettant d’interagir intuitivement avec des objets qu’il reconnaît, même s’il n’a pas d’expérience en production musicale numérique. Néanmoins cela peut vite devenir un frein lorsqu’un utilisateur expérimenté se retrouve à devoir naviguer dans une interface qu’il connaît déjà et qui pourrait gagner en optimisation limitant également l’ajout de nouvelles fonctionnalités pour ne pas trop surcharger l’interface. Apple à donc dû trouver un moyen de faire évoluer ces interfaces pour les rendre plus minimal tout en permettant au personne novices de se retrouver dans une environnement qu’ils ne connaissent pas.
En conclusion, GarageBand 10.1.1 se présente comme un outil accessible et intuitif, où le skeuomorphisme facilite l’engagement des utilisateurs, en particulier les novices, grâce à des repères visuels familiers. Cette approche permet une transition fluide entre le monde réel et le numérique, mais soulève des questions quant à son impact sur l’innovation. Le recours au skeuomorphisme, bien qu’efficace pour simplifier l’expérience utilisateur, peut freiner l’intégration de nouvelles fonctionnalités ou d’interactions plus abstraites. À terme, la surcharge d’éléments visuels réalistes pourrait devenir un obstacle à la création d’interfaces, adaptées aux capacités du numérique.
Problématiques envisagées
Voici donc trois pistes de réflexion que je propose d’aborder dans le cadre de mon mémoire.
Ces questions permettront d’approfondir la discussion autour de la pertinence ou non du skeuomorphisme dans le design d’interface numérique :
- Le skeuomorphisme est-il un obstacle à la création graphique numérique ?Cette question examine si le skeuomorphisme empêche l’innovation en restant trop attaché à des références visuelles du monde physique.
- L’abandon des codes skeuomorphiques est-il une étape nécessaire pour le développement d’un langage propre aux environnements numériques du futur ?Il s’agit ici de déterminer si l’abandon du skeuomorphisme favorise la création d’un design plus pur et plus adapté aux interfaces entièrement numérique.
- Dans quelle mesure la transition vers un design d’interface sans références skeuomorphiques peut-elle transformer nos interactions numériques et améliorer l’expérience utilisateur ?
Cette question se concentre sur l’impact de cette transition sur la manière dont les utilisateurs interagissent avec les interfaces, et si un design plus simple et épuré améliore vraiment l’expérience utilisateur.
Références
livres :
- image, icône, économie – les sources byzantines de l’imaginaire contemporain par Marie-josé Mondzain
- The design of everyday things par Don Norman
- Pour comprendre les médias de Marshall McLuhan
articles :
- Le design de la transparence : une réthorique au coeurs des interfaces numériques par Loup Cellard et Anthony Masure dans le livre Technique & design graphique
- forme, concepts, matières : quel place et rôle pour le numérique et la technique par Bruno Bachimonts dans le livre Technique & design graphique
- Trous de mémoire par jean-Noël Lafargue dans le livre Technique & design graphique
- “Tourner la page” par Dan Rubin dans la revue Back office N°3
- Why skeuomorphism Matter par ux planet https://uxmag.com/articles/does-skeuomorphic-design-matter
autres :
- https://www.previeux.net/fr/videos_WSWDNSeq2.html – what do we shal next ? par Julien prévaux
- https://m3.material.io/ – site web du matérial design
- https://www.interaction-design.org/literature/topics/skeuomorphism – définition et explication du skeuomorphisme
Iconographique :
- l’interface utilisateur de Garagband 10.1.1Iconographique :